Propos recueillis et mis en forme par Raphaelle Marie et Adam Malek.
Maître Viguier, bonjour. Vous êtes collaborateur senior au sein du cabinet Gaillard Banifatemi Shelbaya Disputes où vous intervenez sur des problématiques d’arbitrage international. Vous avez, notamment, une appétence particulière pour l’arbitrage en matière de sport. Pouvez-vous rapidement nous expliquer de quoi il s’agit ?
Bonjour Mme Marie,
Tout d’abord, je vous remercie beaucoup de votre invitation à échanger sur les beaux sujets que sont l’arbitrage et le sport. S’agissant de votre question, l’arbitrage en matière de sport concerne la résolution de deux grandes catégories de différends :
D’une part, les litiges relatifs au sport, dans lesquels le sport n’est qu’un élément de contexte de l’affaire. Il s’agit généralement de différends de nature contractuelle et commerciale (contrats relatifs au sponsoring, aux droits d’exploitation du spectacle sportif, aux relations entre un agent et un sportif, un entraîneur ou un club, etc.).
D’autre part, les litiges dits « sportifs », à savoir les différends issus de l’application d’une règle adoptée par une fédération, une association ou tout autre organisme sportif, et qui opposent deux ou plusieurs personnes appartenant au mouvement sportif (tels que les fédérations nationales ou internationales, les dirigeants, les clubs, les entraîneurs, les athlètes, les agents, etc.). En pratique, ces différends portent sur la validité des décisions d’ordre disciplinaire (telle que l’interdiction (temporaire ou définitive) de participer à des compétitions en raison, par exemple, d’un comportement antisportif ou de la violation des règles anti-dopage) et d’ordre nondisciplinaire (relatives à l’admission, l’exclusion ou la disqualification des compétitions, aux contentieux des élections fédérales, etc.).
Y a-t-il des particularités de l’arbitrage des litiges sportifs par rapport à d’autres types d’arbitrage ?
Par nature, les spécificités du sport (notamment le contexte des compétitions sportives) requièrent le règlement accéléré, simplifié et peu coûteux des litiges sportifs, par des juristes spécialisés. C’est la raison pour laquelle la très grande majorité des fédérations, associations et organismes sportifs internationaux ont donné compétence au Tribunal arbitral du sport (le « TAS », dont le siège est à Lausanne) pour trancher les litiges sportifs. Le règlement de procédure du TAS prévoit en effet une procédure arbitrale d’appel, qui vise à résoudre les litiges sportifs par des formations composées d’un arbitre unique ou de trois arbitres figurant sur une liste constituée de personnalités spécialisées en matière de droit du sport et/ou d’arbitrage international.
En pratique, la déclaration d’appel doit être déposée dans le délai maximum de 21 jours à compter de la réception de la décision faisant l’objet de l’appel, et les parties échangent généralement un seul jeu d’écritures avant l’audience. La formation arbitrale dispose d’un plein pouvoir d’examen (de novo) des faits et du droit, et le dispositif de la sentence doit être communiqué aux parties dans les trois mois suivant le transfert du dossier à la formation arbitrale. En outre, en cas d’appel contre une décision de nature disciplinaire rendue par une fédération ou une organisation sportive internationale, la procédure d’arbitrage est gratuite.
Il convient également de souligner que, dans le contexte des Jeux olympiques, des chambres ad hoc du TAS sont créées spécialement afin de trancher les litiges survenant lors des compétitions de manière définitive et dans des délais adaptés (à savoir, 24 heures maximum ou dans un délai compatible avec le programme des compétitions). Une fois encore, la procédure d’arbitrage est adaptée afin de tenir compte du contexte particulier de l’événement sportif.
Pourquoi et comment développer une spécialisation/pratique en matière d’arbitrage des litiges sportifs ?
Pour ma part, en 2019, j’ai souhaité joindre ma vocation d’avocat en arbitrage international à ma passion de longue date pour le sport, et le football en particulier. Il convient à ce stade de préciser que, dans mon enfance, je rêvais de devenir footballeur professionnel. Faute de talent, j’ai dû me résigner à trouver une autre voie, et j’ai décidé de devenir avocat. Après plusieurs années d’exercice, je me suis interrogé sur une éventuelle spécialisation dans le domaine de l’arbitrage en matière de sport. J’ai soumis mon projet au Professeur Emmanuel Gaillard, ainsi qu’à Yas Banifatemi et Benjamin Siino. Ayant pleinement connaissance de ma passion – qui se manifeste, entre autres, par les nombreux éléments relatifs au football qui garnissent mon bureau – ma proposition a été perçue comme une évidence. J’ai immédiatement reçu de leur part un soutien sans faille. Dans ce contexte, en parallèle de mon activité au cabinet, j’ai obtenu un diplôme d’université en droit du sport à l’Université Paris-Est Créteil (UPEC), au sein duquel j’enseigne désormais l’arbitrage des litiges sportifs. J’ai ensuite participé au Football Law Programme organisée par l’UEFA Academy et, l’année dernière, j’ai été choisi pour figurer sur la liste des avocats pro bono des procédures disciplinaires de l’UEFA. J’ai également rédigé plusieurs publications en droit et arbitrage du sport, et j’interviens régulièrement à des conférences sur la matière.
L’e-sport est également en plein essor. Selon-vous, l’arbitrage peut-il répondre aux enjeux de ce domaine d’activité ?
Depuis plusieurs années, le domaine de l’e-sport est en pleine expansion. Du reste, en 2023, le Comité International Olympique (le « CIO ») a créé une compétition mondiale de sports virtuels et simulés (les « Olympic Esports Series ») en collaboration avec les fédérations internationales et les éditeurs de jeux vidéo. En outre, le Président du CIO, Thomas Bach, a récemment annoncé que la commission de l’e-sport de l’organisation allait étudier la création de Jeux Olympiques de l’e-sport.
À ma connaissance, en l’état, les différends entre les éditeurs de jeux vidéo – qui organisent les compétitions – et les joueurs et/ou équipes d’e-sport sont peu nombreux et, le cas échéant, se règlent à l’amiable. Néanmoins, le moment venu, comme en matière de sport traditionnel, l’activité de l’e-sport impliquera le règlement accéléré, simplifié et peu coûteux des différends qui pourront naître. Le cas échéant, le recours à l’arbitrage (ou la médiation) sera une solution parfaitement adaptée. Il s’agira toutefois de savoir si les acteurs de l’e-sport accepteront de soumettre leurs différends à la compétence du TAS, ou s’ils choisiront une autre institution d’arbitrage, voire de créer un centre d’arbitrage spécialisé dans la résolution des litiges survenant dans le domaine de l’esport.