La phase précontractuelle (Partie I)
Auteur : David NYAMSI est le secrétaire général du Centre de Médiation et d'Arbitrage (CMAG) du GECAM. Doctorant en arbitrage international, il est également arbitre (ICC-CMR, CATO, CIAC), médiateur professionnel et co-fondateur du cabinet conseil 2DAN ARBITRATION CONSULTING, spécialisé en arbitrage international.
Mots Clés : Tiers financement, Arbitrage international
Résumé : L’auteur présente des considérations doctrinales du tiers financement en arbitrage international avant la signature de la convention de financement par la partie tiers financée et le financeur.
Abréviation : FPT vaut pour Financement par des tiers
1. Le tiers financement en arbitrage international (FPT) (1) est une nouveauté dans le financement des procédures d’arbitrage. C’est un lien contractuel (2) qui lie une partie à un litige à un tiers (financeur) non lié à la procédure parce qu’il n’a pas signé de convention d’arbitrage avec les parties. Au sens strict du terme, la convention de tiers financement implique une partie externe dont le seul objectif, est le gain financier qui résulterait de son investissement.
2. Le tiers financeur s’engage à prendre en charge tout ou partie des frais de l’arbitrage (3) dans le seul objectif d’avoir, en cas de sentence favorable à la partie financée, un pourcentage (non négligeable (4) de la somme qui sera allouée par le tribunal arbitral à la partie tiers-financée.
3. Cette situation, dont le caractère nouveau va de pair avec des situations juridiques nouvelles, crée des problèmes importants. Le présent article vise donc à mettre en exergue la position doctrinale relativement au tiers financement, en ce qu’il nous permettra d’avoir un panorama des avantages et inconvénients (avant la signature du contrat avec le tiers financeur) de ce mode de financement qui est applaudi par certains pendant qu’il crée chez d’autres, une méfiance, voire une répulsion qui ne saurait être ignorée (5).
I. Des risques (6) allégués du tiers financement en arbitrage international
4. S’il est un truisme de constater que le gain financier est la seule motivation des tiers financeurs (7) dans leur analyse de faisabilité pour un dossier à financer, ce leitmotiv soulève plusieurs risques du point de vue de certains auteurs qui pointent du doigt les complications issues du financement de certains litiges par des tiers.
5. Certaines sociétés de financement appâtent leurs clients avec des phrases d’accroche qui ne sauraient les laisser indifférents. À titre d’illustration : « Nous fournissons l’accès à la justice. Nous transformons votre demande en argent. Nous vous mettons sur le même pied d’égalité (8) [avec votre contradicteur] », ou encore « …Il est fondamental que la justice soit la même, dans sa substance et son accessibilité, sans considération du statut économique (9) ». Cette volonté sans ambiguïté d’attirer les parties (10) vers le tiers financement participe à cristalliser les critiques qui sont adressées à ce mode de plus en plus usité.
6. L’objectif visé du tiers financeur étant exclusivement le profit, il ne s’agit nullement pour lui de s’engager dans tous les projets qui lui sont soumis. Le tiers financeur doit décider avec l’analyse approfondie du dossier qui lui est soumis, s’il devrait, ou pas, s’engager avec la demanderesse au financement.
7. Bien qu’il existe autant de méthodes d’analyse qu’il existe de sociétés de tiers financement (11), il est constant que la période d’analyse ou d’évaluation des risques encourus par le tiers financeur en cas d’engagement dans un dossier est cruciale pour lui, autant qu’elle l’est pour la partie dont le conseil œuvre d’arrache-pied pour convaincre le tiers de financer tout ou partie des frais liés à la procédure d’arbitrage de son client.
8. L’un des premiers risques est l’absence d’encadrement (12) du contrat de financement à venir. En effet, ledit contrat n’est absolument pas connu des systèmes juridiques des pays de l’Union Européenne (13) ni de systèmes comme ceux des pays de l’Ohada. L’absence de réglementation de la convention de tiers financement serait donc du point de vue des détracteurs de cette pratique, une porte ouverte à de nombreux débordements, et même, une violation du principe du consensualisme qui caractérise l’arbitrage international.
9. Le contrat de tiers financement peut également, suivant les services retenus, être qualifié de contrat de services si en sus des prestations financières, le tiers est concerné par des décisions impliquant les choix des mandataires des parties, ou encore s’il est prévu que le tiers soit impliqué de quelque manière que ce soit dans la planification liée à l’exécution de la sentence arbitrale à venir. (14)
10. En plus de l’absence d’encadrement de la convention de financement, la question de la confidentialité de l’accord de financement émerge comme étant un autre point de vigilance avant la signature de la convention de tiers financement. En effet, la majorité des tiers financeurs imposent à leurs clients la discrétion totale sur leur engagement, et même, sur la mention de l’existence d’une relation contractuelle entre eux et les parties financées.
11. Les véritables raisons de cette exigence de la part des tiers financeurs ne sont pas celles qu’ils mettent en avant (15). Les faits démontrent qu’il s’agit d’un moyen de tenter se dérober des actions pouvant être engagées par la partie non financée (16). Cette position peut aisément être résumée par le risque inhérent matérialisé par « la forme d’une action en responsabilité exercée par l’adversaire de la société financée contre le tiers financeur en vue d’obtenir le paiement de la condamnation aux frais de la procédure prononcée par une sentence (17) ».
12. Qui plus est, les tiers financeurs exigent très fréquemment des garanties (securities) financières pour éviter l’évanouissement dans la nature d’une société qui aurait encaissé les sommes à titre de financement de sa procédure arbitrale.
13. Il va sans dire que cette exigence de garantie envers une partie à l’arbitrage qui se rapproche d’un tiers financeur afin d’avoir la prise en charge de ses frais constitue une ambigüité, voire une contradiction qu’il est important de souligner.
14. En effet, si la société a les moyens financiers nécessaires à la conduite de sa procédure d’arbitrage, il est incongru de faire intervenir un tiers dans celle-ci. Bien entendu, si en revanche l’objectif est la meilleure gestion de son portefeuille ou encore le transfert du risque financier vers un tiers, la dépense qu’engendre la « security for costs (18) » ne participe pas nécessairement à assainir ou à améliorer les finances de la partie ayant sollicité le tiers financeur, car l’objectif de cette relation est, précisément, l’amélioration de la trésorerie de la partie financée.
15. Il s’ensuit donc que cette mesure de sécurité mise en place par la plupart des tiers financeurs ne contribue pas nécessairement à convaincre les détracteurs du tiers financement. Pour eux, elle rappelle, somme toute, les raisons initiales de l’interdiction de cette pratique par plusieurs juridictions de Common Law. Il s’agit des doctrines de « Champetry » et de « Maintenance ».
16. Les doctrines de « Champetry » et « maintenance », originaires de la Common Law, ont pour objectif d’éviter non seulement des litiges considérés comme déraisonnables (19), mais aussi à protéger l’intégrité des procédures judiciaires et/ou arbitrales (20) de l’ingérence illégale de tiers dont le seul objectif est le gain.
17. Il ressort que le tiers financement en arbitrage international reçoit moult critiques, qui, à l’examen, ne sont pas fondées car étant plus des manifestations d’idées préconçues que de réelles objections à cette pratique qui prend de plus en plus pied dans de nombreux pays, même si de nombreux autres laissent encore non réglementée cette pratique qui est pourtant la réponse idoine aux besoins d’opérateurs économiques dont les prétentions dans les litiges non seulement peuvent être financièrement élevées, mais également fondées (21).
II. De la nécessité de considérer le tiers financement des litiges comme incitatif à agir en arbitrage international
18. S’il est un truisme que les tiers financeurs recherchent, dans leur analyse des dossiers, ceux qui leur rapporteront un plus grand retour financier, ils cherchent avant tout à s’engager pour des affaires dont les risques d’avoir gain de cause en arbitrage sont élevés. En cela, il ne s’agira donc pas de participer au financement de litiges déraisonnables.
19. Avant de signer une convention avec un client, les sociétés de tiers financement procèdent à des analyses (22) approfondies du dossier, des pièces, des possibilités d’exécution de la sentence à venir (23). Elles mènent des consultations auprès des cabinets d’experts, afin d’avoir des avis éclairés sur les arguments juridiques, les pièces et partant, les chances de succès de l’affaire (24).
20. De plus, les tiers financeurs veillent à éviter tout conflit d’intérêts (25) entre les parties financées et éventuellement, un conseil, qui agirait « comme arbitre dans un autre dossier financé par lui (26) ». Les tiers financeurs s’assurent donc minutieusement que l’égalité des armes soit respectée en arbitrage international. Le déni de justice pour défaut de financement est tout aussi effacé par le financement (27).
21. Il s’ensuit que le FPT reçoit des assauts qui ne suffisent absolument pas à discréditer son bilan très flatteur. En effet, en marge des quelques avantages non exhaustifs plus haut évoqués, le tiers financement contribue à la sécurité des relations contractuelles et à donner la possibilité aux parties, dans des arbitrages, d’assurer un suivi diligent de leur procédure par des experts, notamment « dans les cas d’expropriation où l’investisseur a été dépossédé de ses biens (28) ».
(1) Third Party Funding en anglais.
(2) Généralement appelée la Convention de tiers financement.
(3) Voir à cet effet, Hamid GHARAVI, in « L’argent dans l’arbitrage », s.la dir. de Walid BEN HAMID et Thomas CLAY, Lextenso Editions, 2013, p.33
(4) H. GHARAVI, op.cit. idem, voir également https://www.daf-mag.fr-Breves sous l’article Litige : pensez au financement par un tiers – Trésorerie – Daf-Mag.fr, qui indique que Alter Litigation « propose aux entreprises de faire financer tous les frais liés à un contentieux ou un arbitrage par un tiers, en échange d’un pourcentage (en moyenne 30 à 40%) sur les sommes recouvrées à l’issue du litige, et ce uniquement en cas de succès ».
(5) Nous explorerons au rang des obstacles au tiers financement en arbitrage, les doctrines de « champetry », « maintenance » et de « usury ». Les difficultés inhérentes à la participation d’un tiers financeur dans une procédure d’arbitrage au rang desquelles : les conflits d’intérêt, l’intégrité de la procédure arbitrale et les risques non négligeables de l’annulation de la sentence du fait de l’ingérence éventuelle d’un tiers, le caractère impécunieux ou non, de la partie qui envisage d’être tiers financée et (le cas échéant), les questions relatives au fonds de garantie qui pourraient être exigés par les tiers financeurs pour éviter des « disparitions » des parties financées une fois les sommes d’argent destinées à la procédure mises à leur disposition.
(6) Au rang des difficultés et de fait, des risques, il est mis en avant pour illustration, et de façon non exhaustive, les complications pouvant survenir lorsqu’un tiers financeur exige d’avoir en amont et par conséquent, par anticipation, un accord avec la partie qui recherche son financement. Il en est de même avec des conflits pouvant naître entre les différents créanciers de la partie financée et non informés non seulement de l’existence du tiers financeur, mais sa qualité de créancier privilégié. Voir H. GHARAVI, Idem
(7) v. Hamid GHARAVI, ibidem; Jean KALICKI, Amy ENDICOTT, and Natalia CARILLO, « Third-Party Funding in Arbitration: Innovation and Limits in Self-Regulation
(8) Voir Alter Litigation, http://www.alterlitigation.com
(9) Voir BENTHAM IMF LIMITED, https://omnibridgeway.com/litigation-finance
(10) Nous n’allons pas ici, discuter des motifs de l’attrait des parties, qui peuvent être nombreuses. En effet, il était généralement supposé que l’impécuniosité d’une partie fût la raison principale de sa recherche de tiers financement. Aujourd’hui, il n’est plus rien. En effet, le souci de transférer le risque financier de son litige à une entité qui peut (financièrement) la supporter est d’un attrait certain. De plus, le tiers financement permet une meilleure de gestion de la trésorerie de la partie ainsi financée.
(11) Scherer & Goldsmith, Rev. Dr. Aff. Int (2012) 207,210.
(12) Bien que plusieurs pays, tels que le Nigéria en Afrique, Singapour, Hong-Kong et de nombreux pays de la Common Law ont pris la mesure de la nécessité de réglementer le tiers financement, la majorité des pays dans le monde ne s’y sont pas encore décidés.
(13) Seuls les pays de culture germanique encadrent un tant soit peu le contrat de financement, qui est pour eux, un contrat sui generis. En effet, il y est considéré comme un engagement sociétal dans la mesure où tous les signataires poursuivent un but commun, bien qu’ayant des apports de nature différente. Le tiers financeur apportant les fonds nécessaires à la procédure arbitrale pendant que son client apporte une créance dont la valeur emporte l’intérêt du tiers financeur.
(14) Voir à cet effet, Versailles,12e ch., sect.2, 1er juin 2006, Société Foris AG v. SA Veolia Propreté, RG n° 05/01038
(15) Certains tiers financeurs opinent que c’est dans le seul objectif de garantir la confidentialité de leur opération qu’ils préfèrent la garder secrète.
(16) Les parties non financées pouvant, une fois informées de l’existence d’un potentiel tiers financeur, engager et obtenir du tribunal arbitral, des mesures provisoires.
(17) H. Gharavi, précité, p.34
(18) C’est une somme mise en garantie, sous séquestre, à la demande du tiers financeur, par la partie financée. Cette mesure peut également être la conséquence d’une décision d’un tribunal.
(19) Voir à cet effet Peter MWANGI MURITHII, Champetry and Maintenance : The legality of Third Party Funding in Common Law Jurisdictions, p.3-5 ; Aff. GILES v. THOMSON [1993] UKHL 2, [1993] 3 All ER 321 (26 mai 1993) ; Collin FLAKE, in Third Party Funding in domestic arbitration – Champetry or Social Utility, Dispute Resolution Journal, Vol.70, n°2, p.110 ; Max GRADIN, Maintenance by Champetry, 24 CAL.L.REV.48,49 (1935) ; Jern-Fei NG, The role of the Doctrines of Champetry and Maintenance in Arbitration, 76 ARB.208,209 (2010) ; Voir également, Eva BOOLIERIS, Third Party Funding : The effect of the growing third party industry in international arbitration on New Zealand, Te Herenga Waka – Victoria University of Wellington, 2015, p.12-13.
(20) La doctrine de « Maintenance » étant quant à elle entendue comme « une ingérence officieuse ou illégale dans une action en justice en aidant une partie », voir à cet effet, Anusheh KHOSHIMA in Malice Maintenance is « Runnin’ Wild » : A demande for disclosure of Third PartyLitigation Funding, Brooklyn Law Review, Vol.83 (Issue 3 Spring), art.5, 2018, p.6,7.
(21) Les sociétés de tiers financement mettant un accent particulier sur l’évaluation du dossier, avant de s’engager à le financer.
(22) Case assessment (en Anglais)
(23) Et partant, de la loi du pays du for. En effet, il est vital de s’assurer que le pays dans lequel l’exécution est envisagée à une législation favorable aux MARD et à l’arbitrage en particulier.
(24) Voir Jonas Von GOELER, Third Party Funding in International Arbitration and Its Impact on Procedure, Wolters Kluwer, vol.35, 2016, p.13
(25) Voir à cet effet, Anissa BOUSSOFARA, Les conflits d’intérêt dans l’arbitrage international, Infos Juridiques, n°298/299 mai 2020. Voir également, L. CHEDLY, l’efficacité de l’arbitrage, Recueil des cours de l’Académie de droit internationale de la Haye, vol.400, 2019, p.431 ; Constance CASTRES SAINT MARTIN, Les conflits d’intérêt en arbitrage commercial international, Thèse, 2015, p.171 ; M. KANTOR « Third Party Funding in International Arbitration : An Essay About New Developments », ICSID Review, 2009.35 ; PINSOLLE « Le financement de l’arbitrage par les tiers », Rev. arb.,2011.385 ; Dossier CCI, 2013, Third Party Funding in International Arbitration.
(26) H. GHARAVI, op.cit. p.35
(27) L’arbitrage est une justice privée et payante, les arbitres ne statuant que sur des demandes pour lesquelles les provisions d’arbitrage ont été intégralement payées par les parties.
(28) H. GHARAVI, Ibid.