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Sujet : « Procédure accélérée et publication des sentences : quelques enjeux autour du nouveau Règlement d’arbitrage du CIRDI »





Homba Alban BASSOWA

Doctorant en droit à l’Université du Québec à Montréal

RÉSUMÉ

L’arbitrage d’investissement a connu une évolution importante avec l’entrée en vigueur du nouveau Règlement d’arbitrage du CIRDI. Les réformes introduites promettent une plus grande efficacité, mais suscitent également des questions sur la qualité des décisions et le respect des droits procéduraux. Ces réformes, bien que positives, nécessitent une attention particulière pour éviter qu’elles ne compromettent la rigueur des arbitrages.

MOTS-CLÉS

Procédure accélérée – Transparence – Publication des sentences – Droits procéduraux


INTRODUCTION


Depuis son avènement, le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) a joué et continue de jouer un rôle majeur dans la structuration de l’arbitrage international en matière d’investissements. Rappelons que plus de la moitié des arbitrages d’investissement engagés chaque année le sont en application des règlements du CIRDI (1). Toutefois, face aux critiques dont ils ont fait l’objet, le CIRDI n’a cessé de mettre à jour ses règlements. Le nouveau Règlement d’arbitrage du CIRDI, tel qu’amendé au 1er juillet 2022, introduit une rationalisation des procédures en arbitrage d’investissement.


Ces évolutions, si elles sont pertinentes dans le contexte actuel de la mondialisation, soulèvent néanmoins des interrogations quant à leur impact sur la pratique arbitrale. Les problématiques de ce nouveau règlement se situent à la croisée de plusieurs enjeux fondamentaux, dont la transparence et l’efficacité ainsi que l’intérêt des parties des points de vue économique et procédural.


Ces problématiques revêtent un intérêt particulier. Sur le plan théorique, le nouveau Règlement d’arbitrage du CIRDI offre une occasion unique d’explorer comment les concepts de transparence, d’efficacité et de droits procéduraux sont redéfinis. L’intérêt pratique du sujet réside dans l’impact direct que peut avoir la réforme sur le déroulement des procédures et la jurisprudence arbitrale, même au-delà de l’arbitrage CIRDI. Ainsi, en Europe, bien que la portée de l’affaire Achmea ne s’étende pas à l’arbitrage CIRDI (2) (le lecteur sera en outre attentif à l’opinion dissidente de Marcelo G. Kohen (3) dans l’affaire

Theodoros Adamakopoulos and others v. Cyprus et à l’affaire Komstroy (4)), les préoccupations soulevées dans cette affaire comme l’opacité des arbitrages intra-UE, laissent présager que la CJUE pourrait appliquer les principes d’Achmea à l’arbitrage CIRDI, sous réserve des articles 52 et 53 de la Convention CIRDI.


D’une part, nous examinons les nouvelles dispositions du Règlement d’arbitrage du CIRDI visant à améliorer la transparence dans l’arbitrage et son impact sur l’accès à l’information et la publication des sentences (I). D’autre part, nous abordons les enjeux liés à la procédure d’arbitrage accélérée et les défis qu’elle pose en termes de respect des droits procéduraux et de qualité des décisions arbitrales (II).


I. Le renforcement de la transparence apporté par le nouveau

Règlement d’arbitrage du CIRDI


Avant la réforme, l’article 48 (4) du Règlement d’arbitrage de 2006 érigeait la non-publication en principe. Si les parties ne donnaient pas leur consentement explicite, la sentence restait confidentielle. Ce qui limitait la disponibilité des informations sur les décisions rendues. Le nouveau règlement introduit des dispositions facilitant la publication des sentences, une mesure fondamentale pour répondre aux critiques sur l’opacité des procédures arbitrales. Le CIRDI publie, avec le consentement des parties, « toute sentence, décision supplémentaire d’une sentence, rectification, interprétation et révision d’une sentence, et toute décision sur l’annulation » (5) de même que les « les ordonnances et les décisions, avec tous caviardages convenus entre les parties et notifiés conjointement au Secrétaire général dans les 60 jours suivant le prononcé de l’ordonnance ou de la décision »

(6) Le paragraphe 3 du même article prévoit que « le consentement à la publication des documents visés au paragraphe (1) est réputé avoir été donné si aucune partie n’a soulevé par écrit d’objection à une telle publication dans les 60 jours suivant l’envoi du document » (7). Dès lors, le nouveau Règlement d’arbitrage du CIRDI fait de la publication la règle par défaut.


Dans l’hypothèse d’une objection partielle, le CIRDI peut procéder à la publication de la sentence après avoir expurgé les parties sensibles, ce qui permet de concilier les exigences de transparence avec le principe de confidentialité. Toutefois, dans Tidewater Investment v. Venezuela, le Tribunal a publié la sentence finale même en l’absence d’accord explicite des parties en raison de la nature d’intérêt public du litige (8). Bien que cette sentence ait été rendue avant le 1er juillet 2022, elle illustre l’importance de la transparence dans les arbitrages, un enjeu souligné bien avant la réforme. Depuis, plusieurs sentences ont été rendues sous l’égide du nouveau Règlement (9).


Cet assouplissement des règles de publication impacte significativement la jurisprudence arbitrale par le renforcement de la transparence et le développement d’une jurisprudence arbitrale cohérente. Ce point est important pour les États qui souhaitent anticiper les risques liés à l’arbitrage lors des négociations des traités d’investissement. Il y a aussi la limitation des risques d’abus de confidentialité. Ce qui veut dire que les États ne peuvent pas facilement dissimuler des sentences susceptibles d’entraîner des critiques publiques. Des défis demeurent toutefois en matière de confidentialité, en particulier pour les investisseurs privés qui souhaitent préserver certaines informations commerciales sensibles (10). La tension entre transparence et confidentialité dans l’arbitrage est toujours discutée (11). Dans l’affaire Biwater Gauff (12), le tribunal avait adopté une position nuancée en reconnaissant le rôle du principe de confidentialité pour protéger le secret des affaires, mais aussi la nécessité de transparence dans les affaires ayant des conséquences publiques importantes. Si d’un côté, la confidentialité est célébrée par ceux qui souhaitent préserver le caractère privé de certaines informations, de l'autre, elle a l’inconvénient de créer une jurisprudence incohérente (13). Il est reproché à l’arbitrage d’investissement d’être sans cohérence et même contradictoire. Cette situation est en partie liée au fait que les arbitres ne sont même pas tenus de suivre leurs propres décisions.



Delaney et Magraw ont relevé plusieurs avantages de la transparence dans l’arbitrage d’investissement classés en neuf catégories : « Higher Quality Decision-Making », « Democratic Values and Realization of Human Rights », « Consistency », « Public Participation », « Implementation », « Accountability », « Legitimacy », « Systemic Reform », « Demonstration » (14).


Cette avancée introduite par le nouveau Règlement doit néanmoins être mise en balance

avec la nécessité de garantir à la fois l’efficacité des procédures et le respect des droits

procéduraux.


II. La recherche d’un équilibre entre efficacité et garantie des droits

procéduraux


L’introduction de l’arbitrage accéléré dans le nouveau Règlement d’arbitrage du CIRDI s’inscrit dans une dynamique de réforme visant à répondre aux critiques concernant les longs délais et les coûts élevés des arbitrages internationaux. En introduisant cette nouvelle procédure, le CIRDI ambitionne de rendre les arbitrages plus rapides et moins coûteux, tout en maintenant l’équité procédurale. Cette nouvelle procédure aurait pour avantage de faciliter l’accès des petites et moyennes entreprises à l’arbitrage CIRDI, permettant ainsi de rendre cette forme d’arbitrage plus démocratique et inclusive. C’est une avancée puisque l’arbitrage CIRDI était perçu comme réservé aux grosses multinationales ou aux États disposant de ressources substantielles. L’article 75 (1) prévoit qu’« À tout moment, les parties à un arbitrage conduit en vertu de la Convention peuvent consentir à accélérer l’arbitrage conformément au présent chapitre (« arbitrage accéléré ») en le notifiant conjointement par écrit au Secrétaire général ».


Ensuite, les parties ont le choix entre un arbitre unique ou un tribunal composé de trois membres (15). Par surcroît, le tribunal tient une première session dans les 30 jours suivant sa constitution (16). Cette disposition, en plus de répondre à une demande croissante de flexibilité dans l’arbitrage, offre aux parties une option stratégique en fonction de la complexité du différend et de leur souci de maîtriser les coûts liés à l’arbitrage. Les mémoires et contre-mémoires qui ne peuvent dépasser les 200 pages sont déposées dans un délai de 60 jours. Les réponses aux contre-mémoires sont déposées dans les 40 jours et ne peuvent excéder 100 pages. L’audience se tient dans les 60 jours suivant le dépôt des dernières écritures. (17 )Le Tribunal rend une sentence « dès que possible et, en tout état de cause, au plus tard 120 jours suivant après l’audience » (18). Dans le principe, l’arbitrage accéléré doit respecter les mêmes exigences que l’arbitrage ordinaire (19).


Bien que la procédure accélérée présente des avantages indéniables en termes d’efficacité et de réduction des délais, elle suscite des inquiétudes quant à son impact sur la rigueur et la qualité des sentences. La doctrine a mis en lumière les limitations pratiques des procédures d’arbitrage accéléré malgré leurs potentiels avantages. L’introduction de souplesse et d’exceptions, bien que destinée à s’adapter aux besoins des parties, finit par rendre ces procédures moins efficaces qu’elles ne le promettent. L’idée de développer un nouvel outil pour unifier les deux formes d’arbitrage, c’est-à-dire l’arbitrage ordinaire et accéléré, tout en garantissant des gains de temps et de coûts, semble nécessaire pour améliorer le système actuel et répondre aux besoins des parties (20).


En effet, si la procédure accélérée améliore l’efficacité de l’arbitrage, elle peut également affecter la qualité des sentences rendues en limitant le temps consacré à l’analyse des arguments juridiques (21). Les critiques portent sur la potentielle dégradation de la rigueur procédurale et la justice perçue, notamment pour les investisseurs ou États aux moyens plus limités. Les parties ayant des ressources financières, humaines et techniques, importantes, peuvent être mieux préparées que celles aux ressources plus limitées (22).


                                       


(1) A. de NANTEUIL, « Le nouveau règlement d’arbitrage du CIRDI », International Business Law Journal, vol 2022, n°5 (2022), pp. 557-560.

(2) P. PINSOLLE et I. MICHOU, « Arbitrage : l’arrêt Achmea, la fin des traités d’investissements intra-UE ? », Dalloz, 2024, https://www.dalloz-actualite.fr/chronique/arbitrage-l-arret-achmea-fin-des-traites-dinvestissements-intra-ue

(4) J. JOURDAN-MARQUES, « Chronique d’arbitrage : Après Komstroy, Londres rit et Paris pleure », Dalloz, 2021, https://www.dalloz-actualite.fr/flash/chronique-d-arbitrage-apres-komstroy-londres-rit-etparis-pleure

(5) CIRDI, Règlement d’arbitrage, 2022, Article 62 (1).

(6) Ibid, 63 (1).

(7) Ibid, 62 (3).

(8) Tidewater Inc., Tidewater Investment SRL and Tidewater Caribe, C.A. v. The Bolivarian Republic of Venezuela, ICSID Case No. ARB/10/5, 13 mars 2015.

(9) Eurus Energy Holdings Corporation v. Kingdom of Spain (ICSID Case No. ARB/16/4), 14 novembre 2022.

(10) J. SHEVCHUK, « Arbitrages : vie privée, confidentialité et l’évaluateur », Questions juridiques, vol. 66, Tome 1, 2022.

(11) R. SCHMIDT, « Confidentiality v. transparency in international arbitration. A Budapest Conference Recap », July, 6 2023 sur https://arbitrationblog.kluwerarbitration.com/2023/07/06/confidentiality-v-transparencyin-international-arbitration-a-budapest-conference-recap/

(12) Biwater Gauff (Tanzania) Ltd. v. United Republic of Tanzania, ICSID Case N° ARB/05/22, 24 juillet 2008, §379.

(13) J. SICARD-MIRABAL, « Precedential Value of International Arbitral Awards », dans ARTHUR W. ROVINE (dir.), Contemporary Issues in International Arbitration and Mediation: The Fordham Papers 2015, 9, Leiden, The Netherlands, Brill | Nijhoff, 2017, pp. 72-86

(14) J. DELANEY et D. B. MAGRAW, « Procedural Transparency », dans Peter MUCHLINSKI, Federico ORTINO et Christoph SCHREUER (dir.), The Oxford Handbook of International Investment Law, Oxford University Press, 2012, aux pp.761-763.

(15) CIRDI, Règlement précité, Article 76 (2).

(16) Ibid, Article 80 (1).

(17) Ibid, Article 81.

(18) Ibid.

(19) I. WELSER et C. KLAUSEGGER, « Fast track arbitration: just fast or something different? », in: C. Klausegger, P. Klein, F. Kremslehner, A. Petsche, N. Pitkowitz, J. Power, I. Welser et G. Zeiler, Austrian Arbitration Yearbook 2009, p. 259 et s., spéc. 260.

(20) T. LABATUT, « L’arbitrage accéléré : faut-il aller plus loin? », https://www.actu-juridique.fr/arbitragemarl/larbitrage-accelere-faut-il-aller-plus-loin/

(21) Ibid.

(22) I. TYMCZYSZYN, «Using fast track arbitration for resolving commercial disputes », Corporate et commercial dispute review, 2018, p.26.

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